Quand l’optimisme se marie avec l’intelligence…

La littérature vise-t-elle à soigner les âmes, comme la médecine les corps? Est-ce pour cela qu’on va de Médecins sans frontières à l’Académie Française, qu’on devient écrivain après avoir été médecin? Il a trouvé la question belle : peut-être, oui…

 


Quand on accueille un académicien, rien ne se passe comme prévu : mais à 10h, le 24 mars dernier, on ne sait comment, nous l’avons retrouvé dans la grande salle de Saint Gabriel : Jean-Christophe Rufin, venu échanger avec les étudiants de BTS du lycée Saint-Gabriel de Bagneux (92) à propos de son roman: “Katiba”, du monde tel qu’il va et de l’homme tout simplement. Pendant une heure et demie, 90 personnes ont écouté attentivement les réponses qu’il a apportées aux nombreuses questions posées par les étudiants, journalistes d’un jour. Même la caméra se faisait oublier.

UN HOMME AUX MULTIPLES VIES

Jean-Christophe Rufin… : on connaissait le co-fondateur de MSF, fin connaisseur de l’Afrique ; « je m’ennuyais dans les couloirs de l’hôpital », nous a-t-il dit… On le sait académicien, élu au fauteuil d’Henri Troyat, vénérable institution, fondée par Richelieu en 1634 ; nous l’avons découvert simple et profond, attentif et chaleureux.

Et nous savions bien qu’avec un tel personnage, l’échange serait riche ; nous ne fûmes pas déçus. Jean-Christophe Rufin nous a ramenés à l’essentiel : l’humain.

“Katiba”, roman publié en 2010, évoque des sujets d’une brûlante actualité : manœuvres et manipulations en vue de capturer un “gros bonnet” du terrorisme, sans que l’on sache très bien qui tire les ficelles entre services secrets français et algériens, société de sécurité privée et groupes terroristes du Sahel saharien, de la Mauritanie à la Lybie. Dans toute cette histoire un médecin sensible, un peu perdu (« un double de vous-même ? » La question l’a fait sourire) et une femme, fonctionnaire du Quai d’Orsay, aux fréquentations troubles et au rôle incertain, dont le portrait n’est peut-être pas totalement imaginaire… Ces thèmes qui ne peuvent qu’intéresser les jeunes de 2017, ont été l’occasion de montrer comment s’élabore une fiction, comment l’imaginaire se nourrit de la réalité qu’il contribue aussi à façonner.

« Écrirait-il ce roman aujourd’hui ? » « Oui, sans doute. » « Que faire contre la radicalisation ? » « Si on le savait… » Une volonté affichée, ne pas être alarmiste, rester optimiste quoi qu’il en coûte. Les hommes restent les mêmes, seules les maladies changent et chaque époque a ses dangers. Jean-Christophe Rufin n’a ni certitude, ni message – au lecteur de construire son interprétation – mais une démarche intellectuelle et humaniste : bien comprendre avant de juger et agir malgré tout ; toujours voir la part de l’humain avec ses ambivalences et ses ambiguïtés, et surtout ne jamais donner de leçons. L’homme est complexe, déroutant, et il faut agir pour rendre le monde meilleur, voilà tout. On pense à Camus, un autre connaisseur de l’Afrique du Nord…

UN MOMENT INOUBLIABLE

Une très belle rencontre pour nos élèves : ils ont su apprécier la chance qu’ils avaient de rencontrer l’auteur du roman d’abord étudié en classe, d’entendre cette parole intelligente s’exprimer sur l’écriture, la médecine, sur notre époque troublée ou même sur des sujets plus légers, avec humour et finesse. Si vous écrivez à l’ancienne, « un papier, un stylo », vos romans comme vos propos parlent de notre époque et de notre part éternelle : pour cela et pour être venu jusqu’à nous, merci Monsieur Rufin.

Merci aux élèves pour leur implication ; merci également à tous ceux qui ont soutenu cette rencontre et qui l’ont rendue possible.

 

Texte de Sonia Lacau, Professeur de Lettres Modernes au Collège et Lycée Saint-Gabriel de Bagneux (92).